Biographie de Sekarama ka Mpumba
1. La personne :
Qui est Sekarama ? Dans le dernier numéro de cette revue Sekarama a été présenté d'une manière incomplète. D'après la récente information de Déogratias Nshimiyimana, fils de Kagosi, celui-ci fils de Segatwa, de la famille des poètes de Kiruri, descendants de Nzabonaroba, Sekarama est de leur propre famille. En remontant sa lignée, il est fils de Mpumba, de Nzeyingabo, de Ngogane, de Bagorozi, de Nzabonariba. Il n'habitait pas à Kiruri, fief patriarcal, mais à la colline de Kabirizi au Buyenzi avant que le chef Sebagangari ne reçût le commandement des provinces du Nyaruguru et du Buyenzi. A son arrivée dans la région, ce chef le dégoma comme sous chef puis le déposséda de ses vaches et le réduisit à la mendicité. Un malheur appelle un autre. Il devint veuf et sans enfant. La photo ci-dessus le montre dans l'état de cette époque de dénuement, durant laquelle il vivait au clochet de son cousin Segatwa, le grand-père de notre informateur qui l'a connu à ce moment et le côtoyait quotidiennement. La notice accompagnant cette photo qui se trouvant dans le livre « Ethno-histoire », d' A.Kagame complète la présente information. Nous y lisons : « Sekarama, fils de Mpumba, surnommé Nyarusaza (le grand vieillard), était une encyclopédie vivante de poèmes dynastiques dont il avait composé plus d'une dizaine. Il était né autour des années 1853, à la fin du règne de Mutara II Rwogera, son père ayant été tué sous ce monarque dans une guerre contre le Burundi. Il mourut en 1942 ».
2. L'oeuvre :
L'exposé de cette œuvre va se dérouler en deux étapes. Nous allons d'abord parler de ses aspects généraux pour passer ensuite à la partie substantielle qui consiste à présenter les 8 poèmes dans une version « critique » et une traduction « du sens». A ces grandes compositions, nous donnerons en annexe, « deux débris de poèmes humoristiques », dont l'objet sont les misères de l'auteur, à savoir d'abord sa pauvreté qui le réduit à la mendicité, puis les infirmités de vieillesse qui limitent ses déplacements.
2.1. L'œuvre en général
Le génie poétique de Sekarama se reconnaît aux caractéristiques suivantes :
1°-La fécondité. Le premier poème de Sekarama concerne la toute première expédition militaire de Rwabugili sur l'île Ijwi, qui eut lieu au début de son règne, au plus tard, en
2°- Les Catégories. Les huit poèmes comprennent 3 catégories littéraires: 2 impakanizi, dont la caractéristique est de récapituler l'histoire de tous les règnes, 2 ibyanzu, qui sont rythmés par des refrains et 4 ikobyo qui sont des textes d'un seul jet.
3°- Le but. Les deux longs poèmes « impakanizi » sont des louanges au monarque. Le premier est adressé à Rwabugili à l'occasion de l'intronisation d'un taureau, symbole du pouvoir royal nommé Ntayozisa. Le second est adressé à Rudahigwa, le dernier de la lignée. Il constitue un accueil triomphal de ce roi Mutara III Rudahigwa, présenté comme une consolation divine pour le pays après la destitution et le bannissement de son père Yuhi V Musinga. Ces deux sont des récapitulations de toute l'histoire du Rwanda, selon le modèle classique du poème « impakanizi ». La particularité spécifique vient avec les cinq poèmes qui sont des satires : 4 contre des pays étrangers, à savoir : le Burundi, le Ndorwa, le Bunyabungo et l'île Ijwi. La dernière était dirigée contre le prince Muhigirwa qui avait refusé le coup d'Etat de Rucunshu. Comme on le sait, ce coup de force renversa le roi légal Mibambwe IV Rutarindwa en faveur de Yuhi V Musinga. Ce prince Muhigirwa paya de sa vie cette fidélité à la légalité. Le dernier poème, original dans son genre, porte sur le thème « inda = le ventre, le sein». Cette partie de notre corps remplit des fonctions diverses et diversement qualifiées. Le poème en retient deux : le lieu de la procréation et de l'alimentation.
Par ce poème, Sekarama se fait le témoin remarquable de l'essence même de la religion traditionnelle. Celle-ci est dans le dogme que Imana est l'auteur de la vie (Rurema) et de l'ordre social (Rugira).
4°- L'apport historique. Sekarama n'est pas un historien de première classe ni de premier rang dans le Collège des Poètes. Sa particularité est d'avoir été le poète des guerres de Rwabugili. Comme témoin oculaire de ce dernier roi du Rwanda pré-colonial, ses écrits méritent une attention particulière.
5°- La version authentique. Il y a lieu de profiter de ce cas pour régler la question de la pluralité des versions des mêmes poèmes à la recherche de la version authentique, c'est-à-dire celle qui est sortie des mains de l'auteur.
Pour le cas présent, la question ne se pose pas puisque l'auteur a dicté lui-même ses poèmes. Il a avoué que sa mémoire a accusé des défaillances graves sur plusieurs de ses compositions. Cela implique qu'une mémoire plus fraiche aurait pu retenir plus fidèlement l'un ou l'autre de ces poèmes oubliés en partie ou en totalité par leur compositeur. De toutes les façons, un « texte oral », même prétendument intouchable, ne peut pas être à l'abri des défaillances humaines des mémorialistes comme l'oubli ou l'erreur ni même des altérations jugées opportunes.
Pour ce dernier cas, par exemple, un mot devenu incompréhensible, un rhapsode le remplace spontanément par un autre plus connu. Finalement, le problème de la version authentique revient à ceci : 1/ C'est la version la plus longue : supposée être complète. 2/ La version la plus correcte : pour le fond et pour la forme. Comme une œuvre poétique n'est pas une parole divine mais une valeur littéraire en elle-même, la version authentique est la meilleure attribuée à l'auteur.
2.2 Textes et Traductions des poèmes
En ce qui concerne le « texte kinyarwanda » d'abord, la première difficulté est la langue parlée par les poètes: le vocabulaire, le langage figuré, les noms inconnus et les réalités historiques concernées qui sont aujourd'hui oubliées. Le recours à la traduction constitue un secours, tout en avouant que bien des expressions restent incompréhensibles même pour un Kagame qui avait des rhapsodes devant lui. Ceux-ci lui dictaient des poèmes appris par cœur sans en saisir la totalité du sens. Le seul moyen pour faire un pas dans la compréhension de ces textes est leur fréquentation : Lire et relire les 190 poèmes, plusieurs fois, identifier le langage de chaque poète et de chaque famille de poètes, faire un travail de comparaison. C'est au bout de cet effort qu'on peut se familiariser avec cette littérature : les mots, les figures, le style, etc, ce sont les mêmes éléments qui reviennent souvent.
Une seconde difficulté pour les non initiés est l'usage des figures et des chevilles. Qu'est-ce à dire ? La poésie historiographique (= Igisigo) affectionne un langage voilé, par le truchement de 3 figures littéraires classiques : l'homonymie, la métonymie et la synonymie. Une troisième est constituée par le recours fréquent à l'usage des chevilles (indezi). Cet élément littéraire n'est qu'un simple « ornement » servant de décoration louangeuse à certains personnages. Il n'ajoute rien au sens de la phrase et peut être omis dans la traduction. Dans le texte, les chevilles sont écrites en italiques.
Pour ce qui est de la traduction, elle visera à donner « le sens pratique de ce qui est dit ». En effet, une trop grande fidélité à la littéralité des textes en eux-mêmes nébuleux ne peut que rester plus nébuleuse. Voici un exemple. Pour désigner Mwambutsa, le roi du Burundi, le poète le nommera Gikebya-mato. La traduction trop littérale sera « Le-Pagayeur ». De telles traductions sont pratiquement inutiles et sont souvent des aveux d'ignorance du traducteur.
Les 8 poèmes sont cités selon l'ordre chronologique de leur composition. Le texte et la traduction sont précédés par des introductions appropriées. Certains mots, expliqués dans l'annexe qui suit le texte, portent un astérisque.
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